Tour de terre

 

Ici c’est Lalande et c’est le commencement. Vous vous regardez marcher sur le goudron. Comptez les caravanes, les cagettes, les fatras du fond des jardins, les promotions de vie à crédit, 4 mois sur 3 ans. À Terre Attitude, vous passez la barrière.

© Sophie Léo pour Périphérique intérieur, Urbain, trop urbain, éd. Wildproject 2014

© Sophie Léo pour « Périphérique intérieur », Urbain, trop urbain, éd. Wildproject 2014

Le vent vient à vos bouches,
vent chaud,
vent des moteurs,
vent qui souffle sans sécher la sueur.

La fleur échevelée d’un arbre importé signe pour toujours l’exotisme retrouvé.

Plus loin c’est jour de pluie. Après les rails, après les Roms, les Argoulets. Les odeurs s’accumulent en âcres tas parmi les Kinders mouillés et les sacs Leclerc avachis.

Plusieurs se découragent et ne reviendront pas.
Longer les grillages, grilles de concessionnaires, grilles de bureau, grilles des terrains, grille des espaces dédiés que vous traversez.

Énumérer les déchets, compter les puits, reconnaître sous la semelle les vêtements abandonnés. Prendre la mesure de ce qui vous sépare du monde d’aujourd’hui. Traquer la beauté bétonnée.

Mais quand même, il pleut.

 

A la troisième vous découvrez les États de la Terre.

Cité de l’espace
Latécoère
Canal suspendu

— temps révolus des déménagements divers
Les mondes se fracturent et vos synapses en connexion fabriquent l’aventure.
De zones en zones vous dessinez le nom des Stalkers.

 

A la quatrième se déploient hors sol les espaces intimes, qui prendront le nom magique de périphérique intérieur. Comme les acrobates sur un fil au cœur du jardin suspendu vous laissez derrière vous la théorie des déchets joncher définitivement les talus. Vous savez maintenant que vous ne connaitrez que des états éphémères de la matière.

 

PAUSE
Sous la neige une voiture à casquette interroge votre démarche touristique. Échange de centralités. Accord sur un sourire en marge.
Puisque ces immeubles aveuglés iront à la poussière avant l’été.
Puisque demain une lame ici refroidira la circulation des lois
La place est vide mais les magasins sont là.
Casino.

 

Plus tard quatre ponts de Garonne.

Dessous vous découvrez Rome. Monumentale et perdue. Arches. Nefs. Temples et fresques. Sur un autel quelques vestiges d’un prêtre de passage. L’une d’entre vous s’adresse avec soin à l’oracle de l’Est.  La montée des eaux dans un instant aura recouvert ce monde là. Ou bien la boue.

 

Dans le froid, à gauche après la mobylette en flamme, vous prenez vers HONNEUR ET PATRIE. Un renard au bord d’un marécage vous guide vers le loup de la fable. Et toutes ces forêts sans arbres vous les tissez plus vite encore que des araignées. A la Reynerie.

 

Au printemps deux sphinges vous regardent depuis la balustrade du savoir délivré.
Indiens au pied léger
vous accompagnez l’Orchis morio, la matricaire, le fumeterre, la passerage drave et les balles de tennis ruisselées,
vous les accompagnez parmi les particules inarticulées le long des voies vertes à l’asphalte lisse et noir,
vous les accompagnez jusqu’à la frontière du monde mâché
pendant qu’au ciel un béluga mugit et plonge dans un artifice de pinède.

 

Et puis il fait chaud passiflore. Le bourdonnement voiturier est devenu votre chant des jours familiers. Tac tac – tac tac au pied des piles de béton brillant aux reflets de la Garonne retrouvée. Sous les arches vos ombres portées accomplissent les gestes de la légende toujours inachevée.

 

Au fil du canal latéral sèchent les vies des habitants de passage qui savent aiguiser en un tour de terre votre conscience du précaire.

 

Ci-git Pepita.

 

Et tout est à recommencer.

 

 

Texte passé par la conférence-performance « Un trip para-numérique », au Centre culturel Bellegarde, avril 2014

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