Port-de-Bouc en son paysage est une ville sentinelle. Au front des matières, elle a dû choisir plusieurs fois déjà, ce qui pouvait rester et ce qui devait partir. Ce qui devait s’aménager et ce qui devait déménager. Cette ville bâtie aux avant-postes de l’ère industrielle, écoutons-la. Écoutons-la raconter la révolution des machines dans les vies, écoutons-la égrainer les immigrés venus ici pour travailler, écoutons-la chanter les humains qui se rassemblent en syndicats, en mutuelles, en foyers, en cercles ouvriers, en quartiers, en associations grecques, italiennes et gitanes, sur les deux places du marché et dans les soixante-dix cafés. Toutes ces voix d’hommes sur la voie publique, toutes ces voix de femmes au pied des immeubles, et ces enfants qui courent dans les allées. Port-de-Bouc n’entend plus les sirènes du progrès. Écoutons-la raconter les combats et les négociations entre le travail et la pollution. Écoutons-la compter le prix à payer de la sortie des industries. Écoutons-la respirer l’air qui l’inspire. Regardons-la sédimenter son inconstructible rivage. Écoutons son cœur battre pour un espace à récupérer sur la ruine du siècle dernier. Écoutons le bruissement incertain de ce qui lui arrive. Écoutons-la fabriquer un monde au jour le jour et qui sera bientôt le nôtre — ville au front, ville sensible, ville sentinelle qui joue pour nous, terriens, le pari d’un lendemain.