renverser les modernes

Exercices de symétries entre humains et non-humains, procédures de débuggage, façonnages de monuments impossibles… toutes pratiques et rituels permettant de changer d’époque— propositions bienvenues

J’AI FAIT TOMBER OUSMANE FALL

*

Ousmane Fall, c’est à Sebikotane, commune du Grand Dakar, que je l’ai vu pour la première fois, dans les ruines de l’Université du Futur. Sur la plus haute plateforme. J’étais montée par l’un des quatre escaliers. Lui, par un autre. À chaque étage, parmi les gravas qui jonchaient le sol et devant les meurtrières qui laissaient voir des horizons de plus en plus larges et de plus en plus lointains, sa silhouette était à l’affût. Sur la dernière plateforme, la plus large, sans toit, un coffrage de béton écroulé. Les planches pâlies par le soleil tenaient encore des tiges de métal hérissées au milieu de la mollesse du béton figé au-dessus du vide. Des milans volaient au-dessus de nous. Le vent était chaud. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Nous nous taisions, cherchant comment saisir par le langage, par la pensée, par nos sens la structure inachevée sur laquelle nous marchions, et déjà en ruine, et que le discours du progrès avait déjà lancé sur un projet nouveau. Des images arrivent, on tente de ralentir l’événement qu’on met d’ordinaire sous le mot de catastrophe, on tente de les faire coïncider avec ce qu’on a sous les yeux et sous les pieds. Nous nous taisions par convention aussi, le temps de reconnaître si l’un de nous était du Réseau.

> Lire la suite

Nos chers déchets… et ce qu’il en reste

Le grand plateau d’exposition du MuCEM (Marseille) a accueilli en 2017 une exposition, Vies d’ordures, consacrée à l’économie des déchets en Méditerranée, avec un angle de présentation inédit, fondé sur des enquêtes ethnographiques réalisées en Turquie, en Albanie, en Égypte, en Italie, en  Tunisie, au Maroc ou dans le Sud-est de la France… 129.195 visiteurs s’y sont rendus. Le collectif Urbain, trop urbain a pris part à son élaboration, de 2015 à 2017, au sein de l’équipe de direction artistique et de scénographie.

 

À découvrir sur Urbain, trop urbain, et dans la même veine, des recensions de livre et d’expositions…

> Lire la suite

UN TATOUAGE DE RÊVE

 

Qui n’a jamais laissé aller ses rêveries jusqu’au tatouage qu’il se ferait faire, le laissant se promener sur son épiderme et changer de forme au gré des expériences de la vie, tant que les aiguilles ne l’y ont pas fixé en une trace indélébile, ancrant à jamais le témoignage d’une vie vécue dans le présent d’une peau. J’ai souvent pensé au sens qu’il y a à se faire tatouer : l’expiation d’une faute par un marquage à vie, l’inscription d’une parole scellée à vif ou le goût pour une expérience intense et douloureuse… Mais si j’ouvrais un salon de tatouage, nous oublierions ces conventions, et nous commencerions, avec la personne venue, par dérouler le fil des trajets qu’elle a pratiqués, nous ferions l’inventaire des invisibles l’ayant traversée (ondes, rayons, produits chimiques…), puis nous établirions des correspondances singulières entre ces substances généralisées et leurs appréhensions biographiques particulières. Mon rôle consisterait à faire apparaître le milieu constitué par le corps de chacun. > Lire la suite

UNE ÉCOUTE AUGMENTÉE

 

Je cherche un morceau de musique qui ferait entendre la rencontre des eaux douces et salées à l’embouchure des fleuves. Embouchure, estuaire ou delta, je suis prête à faire des concessions. Car en ces lieux du monde, nombreux mais pas infinis, se jouent des polyphonies paysagères où les voix de l’espace et du temps s’entrechoquent tout particulièrement et s’accordent à l’issue de mouvements qui répondent à d’autres beaucoup plus anciens, et de ce fait beaucoup plus lointains, sur des registres de tous ordres : géologiques et cosmiques, physiques et politiques, chimiques certainement, et économiques, de plus en plus. On sait que dans les fleuves dévalent les époques et dans les mers s’échouent et tournoient les désirs des humains, mais sait-on les écouter ? > Lire la suite

un homme au musée

 

Je veux remercier, ici devant vous aujourd’hui, l’anthropologie contemporaine de s’occuper enfin de l’homme moderne. C’est à me faire regretter ne pas être anthropologue moi-même et de n’avoir pas contribué à la documentation de cet objet omniprésent et surtout devenu omnipotent sur, dans et au-dessus de la terre. Le travail n’est pas terminé. Et je me réjouirais d’opérer l’un de ces retournements de représentation nécessaires aux tentatives de saisie de ce spécimen. Chacune d’elles exige encore des tours de force qu’on réalise avec peine. Déjouer le jeu des miroirs et des écrans. Suivre les réseaux des attachements, de l’électricité, du gaz, du pétrole et de l’eau. Oser les comparaisons entre ses modes de pensées, de cuisiner, de prier, de dépenser et de faire l’amour. Renoncer à la pensée universelle. Et plus difficile encore : sortir du jeu de pouvoir qu’impose la publication de ces connaissances. > Lire la suite

© zone claire 2015