figures

 

Ici ou là dans la zone, on trouvera quelques écumes de récits, et comme des bateaux dans la brume, elles apparaissent, ces figures issues du mythe. Ce soir que je suis sur un rivage troué de la Méditerranée, je les invoque encore une fois. Et ils se sont assis devant moi. Pas en même temps, non. Mais la même nuit. D’abord lui. Et il me parle.

Vous n’avez pas besoin de mon nom. C’est cela qu’il me dit. Prestance pourtant. Il tient à distance ses traits de ce qui lui donnerait un sens. Si je pouvais m’y fondre, il me dit. Et ses yeux, là, se vident. Plus rien dans l’iris. Et pas seulement. L’expression de la bouche, les deux longs traits de la base du nez au menton. Ils se figent. Sa langue elle-même doit être immobile. C’est tout son corps qui s’est blanchi. Ses poings entre ses genoux, coudes posés sur les cuisses, épaules voutées. Il n’arrivera pas à en dire plus. C’est ce que je me dis. Il baisse la tête et regarde entre ses pieds, ou ses chaussures peut-être, des godillots en cuir à moitié recouverts par son pantalon de toile. Lorsqu’il relève la tête une mèche reste à barrer son front. Sa voix sort de son thorax, ample. Plus large que ses épaules. Tant d’amour, tant d’amour pour y aller. Mais revenir… C’est ce qu’il me dit. Il se lève et sort. J’écris : amour, aller, retour. Traces de ses pas sur le lino.

Je bois avec abondance et cherche dans le reflet de la fenêtre les lumières des tankers jusqu’à une heure que je ne pourrais plus dire.

Dans la nuit, elle est là. La lumière hésite à se saisir de sa silhouette. Je ne sais pas dans quelle langue m’adresser à elle. Ça fait si longtemps. C’est la façon qu’elle a de regarder autour d’elle, comme si elle découvrait. Tout ça. Même immobile je dirais qu’elle bouge. C’est le grain de sa peau. Les grains. Ils pourraient se séparer et se faire mouches et s’envoler, ou rouler en gouttes éclatées de mercure, ils pourraient milliards de particules s’évaporer, former de fins nuages gris dans un ciel rosé, ou un banc de poissons mu par un courant contraire, ils pourraient se rassembler pour composer son visage, son cou, ses épaules, ses seins, son ventre et ses hanches posées là sur la chaise, ses mains tenant ses cuisses, genoux mollets, et pieds larges. C’est tout ce bruissement autour d’elle. Feuilles brassées, écumes au rocher, frottement de plumes, fourmillement dans la gravière, glissement de terrain, rochers s’éboulant, plaques ductiles et lave jaillissante. Souffle sourd et bruit du temps. Alors lui parler…

Au réveil, bouteille vide. Prise au jeu de l’étiquette.
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