Depuis si longtemps qu’il ne sent plus les picotements à la plante de ses pieds, ni le flux battant de ses cuisses. Ses reins, raides, sa colonne tassée. Il a trop marché le long de ces voies. Et pourtant au matin, il les poursuit encore, celles qui fuient la parallèle.
Le chemin de fer arrive au bout du pont-tournant, où roulent les rayons de soleil qui se jettent sur les gesnêts et déboulent la colline entre les pins, les orchidées et dans la garrigue, jusqu’à la mer. La Méditerranée. Deux ou trois tankers en station. Des panaches sur la rive s’échappent des cheminées rayées de rouge et de blanc aux pieds desquelles s’agglutine un contingent de cylindres blancs. Une torchère lance sa flamme à l’aube qui rosit. L’argade conduit son souffle mêlé de gaz, de ciste et de thym. C’est là le front de l’ère industrielle. Il le sait, mais il y a cette voix. Va plus loin. Pas d’éclat où tu vas.
L’ancien chenal se tient fixe entre ses rives droites où filent, entre fenouils et genêts, des rails désaffectés le long d’une terre barbelée. Monceaux ocre et gravas gris barrent l’horizon. Des palmiers sont venus se planter dans l’asphalte qui se craquèle. Ils signalent son arrivée par un bruissement de papier. Une voiture passe. Renault 12 bleu ciel. Il se plaque au mur déchiqueté, le seul qui reste, ses chaussures se prennent dans des tôles en tas, ondulations d’amiante à ses pieds. Et si c’était là ? Il lève les yeux et se récite la généalogie qu’on lui a apprise. Kuhlman, Ugine, Pechiney, PUK. Ato, Atochem, Elf, Atofina. Azur Chimie, Albemarle, ICIG, ci-gît, c’est fini. > Lire la suite