Une fois levé le poids du lourd imaginaire flottant sur toute ville historique, on trouve à Istanbul, en fait de mémoire urbaine, les visages et les postures des habitants, qui emmènent loin et il y a longtemps.
Une fois levé le poids du lourd imaginaire flottant sur toute ville historique, on trouve à Istanbul, en fait de mémoire urbaine, les visages et les postures des habitants, qui emmènent loin et il y a longtemps.
Une longue route mène en Anatolie avec ses collines aux coulées de maisons beiges et roses et vertes parmi les forêts d’automne au bord desquelles se vendent des cagettes de légumes d’été. Monter ce chemin de terre pour la mer. Mais un gardien rugit en 4×4 et t’empêche de regarder objectivement l’énième chantier de corruptions d’État sous le ciel de béton lisse qui laisse là s’échapper un crachin sur le pare-brise.
Architecture byzantine s’il en est, Sainte Sophie se dilate depuis le VIème siècle de coupoles en coupoles. La pleine et grande et jaune fait tourner la lumière venue des deux côtés de la nef par de larges arcs pleins derrière quelque arcane ménagée par des colonnades de marbre. Des deux semi-coupoles qui en partent en symétrie vers le chœur et le narthex, celle du chœur se déploie encore en un dernier dépli pour laisser place à l’abside. Sainte Sophie : divine sagesse qui s’étend comme à l’infini.
Du haut de Sapphire, brillent encore l’Euphrate et le Tigre de la Syrie en sang, et plus loin, l’Afghanistan.
Du haut de Sapphire cavale IO la génisse gémissant sous la piqûre du taon — sans saillie et fendant de son sabot fou la terre entrouverte du désir divin, déchirant de sa corne l’or du soleil couchant sur la mer de Marmara. Et par la faille ouverte le monde des vaches se scinde, sacrées à l’est, mangées à l’ouest. Les lignes de train peinent à se rejoindre sous la mer de marbre prête à se veiner pourtant.
Du haut de Sapphire Europe au dos de Zeus passe, taureau blanc fleuri des pâquerettes cueillies par la nymphe. Les mêmes vendues ce jour en couronnes à Sultanahmet, Eyüp et Galata. Et le Bosphore, qui porte le bœuf porte Europe d’Orient en Occident, du Liban à la Crête, désorientée la nymphe ennuagée dans les brumes du Pont-Euxin. Istanbul par accident orientée vers l’Asie, ni les toits, ni les façades.
À part le grand büyük et le neuf yeni. A part le teçekür, merci ! et la mer à boire du bonjour, à part evet / hayer, pour les là du oui et les ici des non, à part l’ada île ardente au soleil des princes, à part les –mez interdits, à part les noms de lieux et les noms de Dieu, à par les cédilles qui crochètent la langue au palais des poissons avec plus ou moins de souffle selon l’heure du jour du Bosphore, à part les i sans point, à part la voix du muezzin à 13h16, la voix du vendeur d’eau, celle du vendeur de pain qui passe, à part la voix du récupérateur de métaux sur son dos et du livreur de gaz, à part la voix des enfants qui nomment leur père en bateau, il y a l’articulation de la mouette, du chat et du chien.